DIBATTITI
Le militaire doit-il sans condition
obéir à l’autorité politique ?
CF Jean-Marc Bordier
Le militaire doit-il sans condition obéir à l’autorité
politique ?
C’est pour donner quelques éléments de réponse à cette
question complexe que deux exemples seront tirés de l’histoire de France pour
essayer d’en extraire des conclusions dont l’objectif n’est pas de répondre de
manière définitive à cette problématique mais de susciter une réflexion
personnelle.
L’Armistice de juin 1940
La situation extrêmement compliquée devant laquelle se
trouvent les militaires italiens au moment de l’armistice de septembre 1943
peut, à bien des égards, être comparée à celle devant laquelle se trouvent les
militaires français après l’armistice de juin 1940. Alors que nombre militaires
français n’ont pas combattu (l’ensemble de la marine française par exemple),
quelques semaines seulement après le début des hostilités réelles avec
l’Allemagne, le maréchal Pétain, héros de la première guerre mondiale, symbole
de la résistance héroïque de Verdun et arrivé au pouvoir après la démission du
gouvernement de Paul Reynaud le 16 juin 1940, dans une allocution radiodiffusée
le 17 juin 1940 , demande aux militaires français de cesser de combattre pour
préserver la France et sa population de malheurs inutiles ; il est par ailleurs
convaincu que l’Angleterre serait vaincue rapidement et que l’Allemagne
sortirait vainqueur du conflit.
En écho au discours du maréchal Pétain du 17 juin 1940, le
général de Gaulle, alors inconnu de la population française, lance un appel
radiodiffusé de Londres le 18 juin 1940 , enjoignant les Français, non pas à
déposer les armes, mais à continuer le combat contre les forces de l’Axe. Pour
avoir désobéi au pouvoir « légitime », il est condamné à mort par le régime de
Vichy que le maréchal Pétain préside. Aujourd’hui, on parle souvent de « juste
désobéissance » pour qualifier l’action du général de Gaulle en juin 1940.
Comment donc et pourquoi, deux officiers qui sortent de la
même école, qui partagent le même socle de valeurs, la même culture, ayant une
très haute idée de la France, une haute conception de l’Honneur, arrivent à
avoir deux positions tellement opposées devant une telle situation ?
Parce que l’obéissance a une limite, qui n’est pas
nécessairement liée à la formation académique que l’on reçoit dans les écoles
ou aux contrats d’engagement que l’on peut signer, mais liée plus certainement
à notre culture propre, notre éducation, notre sens de l’Honneur, notre amour
de la Patrie, notre religion lorsqu’on en a une, la Morale si on en a besoin,
nos intérêts, nos ambitions. La clé de l’opposition entre le maréchal Pétain et
le général de Gaulle est que le premier agit comme un politique, en fonction de
ce qui lui semble être l’intérêt général (éviter les victimes inutiles,
préserver la France d’une occupation totale), lorsque le second agit avec son
cœur, « ses tripes », en fonction de ce qui lui semble être le Bien Commun
(refus catégorique de la défaite face à une idéologie qu’il rejette en bloc car
contraire à ses valeurs fondamentales).
Le samedi 22 avril 1961, les généraux Challe, Salan, Zeller
et Jouhaud, avec l'appui du 1er régiment de parachutistes, commettent un coup
de force à Alger. Ce putsch fait suite à la conférence de presse du 11 avril
1961, où de Gaulle justifie sur un ton, jugé désinvolte, la décolonisation de
l'Algérie par ce qu'elle coûte à la France. Ceci est ressenti comme une
provocation chez les tenants de l'Algérie française, qui tentent de refaire le
13 mai 1958 (chute de la IVème République, arrivée au pouvoir du général de
Gaulle). Par l'allocution du 23 avril , de Gaulle, en uniforme militaire,
informe la Nation qu'il assume les pleins pouvoirs prévus par l'article 16 de
la Constitution de la Vème République. Diffusé par les postes à transistors en
Algérie, ce discours jalonné de formules frappantes encourage la désobéissance
des soldats du contingent aux officiers putschistes et intimide les hésitants.
Discours capital, l'allocution du 23 avril fait tourner court la rébellion.
Les généraux putschistes se sentent trahis par de Gaulle et
ne veulent pas être les complices passifs d’un pouvoir politique métropolitain
accusé d’être parjure, qui semble ignorer les intérêts de tant de Français
vivant en Algérie, qui semble prêt à se séparer d’un morceau de France alors
que la victoire militaire sur les forces adverses est largement à portée de
main. Obéir au régime légitime leur devient insupportable et par un acte
désespéré, ils désobéissent avec fracas, emmenant avec eux plusieurs officiers
et régiments.
En temps de paix, la fidélité, l’obéissance au chef est
facile et ne pose pas de difficulté. La situation se complique de manière
notable en temps de crise ou de guerre : le militaire, qui se sent trahi,
abandonné, peut être tenté de ne pas obéir aux ordres reçus des autorités
politiques, ou bien parce qu’il les trouve contraires à l’honneur, aux idéaux
qu’il défend, ou bien parce que les politiques ne sont pas considérés comme
légitimes ou dignes d’être obéis.
L’obéissance au chef a donc une limite, un point de rupture.
Ce dernier est bien sûr personnel et est très difficile à définir de manière
précise, a priori. Il dépend d’un nombre important de facteurs sur lesquels une
réflexion personnelle est sans doute importante pour nous, militaires. Face à
une situation donnée, face à un choix difficile, quelle est la mesure dont je
me sers pour prendre ma décision : mon éducation ? mes valeurs ? l’honneur ? ma
religion ? la loi ? mon courage ? mes convictions ? mes intérêts ? mon
bien-être ? l’intérêt général ? le Bien Commun ?
Une réponse claire à cette question serait de nature à
déterminer notre point de rupture et améliorer la connaissance que nous avons
de nous-mêmes.
Mais sommes nous réellement prêts à effectuer objectivement
cette introspection ?
Nessun commento:
Posta un commento